L'Eglise aux bois n'oublie pas
4 Avril 2015 , Rédigé par Ionard Publié dans #Résistance
Perdu au milieu d'une immense forêt, ce village La Forêt porte bien son nom.
Et ce matin gris et pluvieux a vu un nombre impressionnant de personnalités, d'anciens résistants, de porte-drapeaux, de famille , amis et voisins venir honorer la mémoire de ce village martyr et de ses habitants durant l'occupation allemande.
Nous étions des centaines......
Simone Jamilloux-Verdier maire de la commune et son conseil municipal peuvent être fiers de ce qu'ils ont entrepris. Ce fut une très belle commémoration.
Entourée du sénateur Daniel Chasseing, de la députée Sophie Dessus, du préfet Bruno Delsol,de l'ancien résistant et ancien maire de Clergoux Jean Maison (90 ans et venu seul en voiture depuis Clergoux) de Bernard Delaunay président de l'ANACR Corrèze,de Bernard Bouche de l'ANACR canton de Bugeat de Pierre Lagnitre porte-drapeau ANACR canton de Bugeat et tant d'autres, Simone a lu l'histoire de ce village.
L’Église-aux-Bois
4 avril 2015
Nous sommes le 4 avril 1944 vers 18 heures.
Des volutes de fumée montent encore vers le ciel.
Des animaux errent et appellent.
Les habitants sont partis, les uns vers une destination inconnue, les autres dans les bois et les fourrés ; il ne faut pas faire de bruit, il ne faut pas revenir, les Allemands sont encore là, dans ce fournil, en embuscade.
Après les cris, les craquements sinistres des charpentes, les explosions de toutes sortes, un silence lourd, un silence d’après tempête s’installe.
Nous sommes le 5 avril 1944.
Toujours cette même odeur âcre qui plane sur le village et se répand jusque dans les vallées environnantes.
Toujours les mêmes interrogations :
Où sont les prisonniers ? Où sont ceux qui ont fui ?
Les maisons ne sont que des ruines fumantes, seule une poignée d’envahisseurs occupe toujours le terrain et ce sera ainsi pendant plusieurs jours jusqu’au dernier brasier.
Alors, pendant des semaines, des mois, les drames se succèderont à Lacelle, au Lonzac, à Bugeat, puis ce sera Tulle, Oradour et tant d’autres.
Quand s’arrêtera l’horreur ?
Les habitants de La Forêt se sont réfugiés d’abord dans les villages les plus proches mais il faut aller plus loin pour ne pas mettre en danger ceux qui les ont recueillis.
Alors ce sera La Villedieu, Faux-la-Montagne, la Creuse, la Haute-Vienne.
Un enfant de l’assistance, de 12 ans environ, errera pendant plusieurs jours, avant de retrouver sa famille d’accueil à Haute Besse.
Puis, petit à petit, les femmes reviendront d’abord Marie Borzeix et Louise Ségurel, les plus âgées libérées à Tulle...
Puis Marie Cheype et Marie Ségurel libérées à Limoges ; elles reviendront traumatisées et pour certaines handicapées à vie par les tortures qu’on leur a infligées.
Elles ne savent rien de ce qui s’est passé dans leur village.
Alors avec la complicité et l’aide sans faille des parents, des amis, les familles se retrouveront. Mais dans quelles conditions !
Pas de toit, pas de meubles, pas de vêtements, pas d’animaux, pas de matériel, pas d’argent : le dénuement total.
Pourtant, dès l’été 44 certains reviendront faire les foins à La Forêt.
Et, dès ce moment-là, leur seul but sera de rentrer dans leur village, de reconstruire, par nécessité bien sûr, mais peut-être aussi pour laver l’humiliation subie. Ce sera dur, ce sera long, mais ils y arriveront.
Toute leur vie, les familles Borzeix, Cheype, Ségurel remercieront les voisins, les amis, les parents qui les ont secourus, hébergés, qui leur ont donné de quoi survivre.
Toute leur vie, ils remercieront Clémence Couzelas devenue Mme Darlavoix, qui, par son courage et son sang-froid, ayant prévenu les habitants de l’arrivée des Allemands les a sauvés d’une mort certaine.
Mais parler, parler encore, raconter de façon incessante ce qui s’était passé, comme on le fait aujourd’hui, ce n’était pas le souhait des habitants qui voulaient vivre tout simplement. Sans oublier, ils ne le pouvaient pas, ils ne le voulaient pas, mais continuer sa route avec discrétion, avec pudeur, sans étalage, sans rappel de cette tragédie ancrée à jamais dans leur mémoire.
Les années ont passé.
Marie-Louise Ségurel épouse Theyssier, avait 21 ans en 1944, elle était le seul témoin résidant encore dans le village.
À son décès en 2013, ce fut une évidence pour sa famille, Robert, son fils et Pierre son petit-fils, plus personne ne leur racontera le drame de La Forêt. Le moment était venu de rompre le silence et de rappeler à tous la tragédie vécue par leurs ancêtres, par nos ancêtres.
Alors, avec l’accord des habitants et des descendants de La Forêt, nous avons installé cette stèle qui raconte succinctement le 4 avril 1944.
Nous avons voulu aujourd’hui, jour anniversaire, dans une même cérémonie, rendre hommage
À ceux qui ont perdu leur village
À ceux qui ont perdu la vie
À ceux qui ont été emprisonnés
Marie Borzeix
Louise Ségurel
Marie Cheype
Marie Ségurel
Jean-Jacques Durousseau, habitant La Forêt fusillé au Lonzac
Pierre Eburderie, habitant Le Moulin du Fimigier fusillé à Lacelle
Chaim Rozen, habitant Bugeat, tué à L’Omelette, dont la dépouille repose dans le cimetière de L’Église-aux-Bois
Clémence Couzelas épouse Darlavoix, n’est pas à nos côtés ce matin mais nous ne l’oublions pas ; Clémence, par son sang-froid et son courage a sauvé les habitants de La Forêt.
Cet après-midi, lors d’une cérémonie plus intime, nous lui rendrons visite à l’EPHAD de Chamberet et nous lui décernerons le titre de citoyenne d’honneur de la commune de L’Église-aux-Bois.
Monsieur le Préfet,
Madame la Députée,
Monsieur le Sénateur,
Madame la Conseillère Départementale, Mme Rome,
Monsieur le Président de la Communauté de Communes,
Mesdames et Messieurs les maires, chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Présidents et les membres des Associations des Anciens Combattants,
Mesdames et Messieurs les représentants de la Gendarmerie Nationale et des Sapeurs-pompiers,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Vous nous avez fait l’honneur et l’amitié de venir partager ce moment d’émotion, de souvenir et d’hommage au village de La Forêt.
Les familles et le conseil municipal de L’Église-aux-Bois se joignent à moi pour vous dire merci.
Après une intervention émue de chaque officiel, la chorale de Madranges a entonné de très belle façon "le chant des partisans".
Le verre de l'amitié était offert dans une grande étable restaurée pour l'occasion.... on n'oublie pas Pâques c'est demain.
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